ABSTENTIONNISME - [Épisode 4] ET L'ABSTENTION ALORS ?

POURQUOI S’ABSTENIR N’A RIEN DE “MAL”
Par Tanguy Porret

On pourrait se dire que c’est fini. J’ai, en effet, expliqué pourquoi je ne votais pas. Néanmoins il reste plusieurs choses à dire sur le sujet, des arguments qui ne contredisent pas tout ce que je viens de dire mais qui viennent considérer cela comme étant une symbolique risquée à la vue des enjeux en question (le contrôle d’un État donc). Il s’agit donc, là aussi, de parler de ces arguments qui reviennent souvent et qui sont loin d’être anodins.

Le premier est justement sur la symbolique de l’abstentionnisme. Comme dit précédemment, le vote blanc comme l’abstention sont, à l’heure actuelle, rien de plus que des actions symboliques. Elles ne changent, en soi, rien à la vie politique. Voter blanc ne changera pas le terme des élections, même si vous pouvez être content de savoir que votre vote blanc sera compté à part des votes nuls. Le résultat final est strictement le même qu’avant (la plupart des médias vont jusqu’à présenter un chiffre “vote blanc ou nul”). De la même manière, l’abstention est purement symbolique et ne changera pas le cours d’une élection, peu importe le nombre d’abstentionnistes. L’élection aura lieu et sera valide, la légitimité à la clé ne sera peut-être pas la même en revanche. Or comme ce sont des actions symboliques, on met souvent en avant leur inutilité. Et c’est vrai. L’abstention n’est pas une fin. Considérer qu’une fois que l’on n'a pas voté, notre boulot est fait pour créer une meilleure société, c’est se tromper. C’est d’ailleurs pour cela que dans le cas de l’abstentionnisme militant, l’abstentionnisme s’accompagne souvent de présence dans des associations, dans des manifestations, par des textes, des vidéos, des podcasts pour expliquer les raisons de l’abstention afin de créer un terrain favorable à un changement de système. Dans le cas de l’abstentionnisme non militant, le problème est tout autre. Le vote étant, dans ces cas-là, souvent vu comme inutile, l’abstention n’a rien de plus inutile, et de fait la différence entre les deux est assez mince. S’ajoute à cela le manque d’intérêt pour la politique, vue comme trop compliquée. Ce manque d’intérêt est une conséquence de notre système représentatif qui déresponsabilise les individus, puisqu’on leur explique à longueur de temps qu’ils ne sont pas assez intelligents ou experts dans un domaine pour pouvoir réfléchir à la politique, mais aussi parce que leur action se résume à choisir un candidat plutôt qu’à prendre des décisions sur des textes précis. Rendre le débat politique complexe est un moyen d’éloigner le tout-venant de ce débat. En ce sens donc, sans être “utile”, l’abstentionnisme en révèle beaucoup sur notre système actuel, et de fait est loin d’être inutile. Le chiffre de l’abstentionnisme doit être pris comme une donnée à part entière, qui doit être analysée, et à laquelle il faut trouver une solution (le vote obligatoire n’étant qu’un vulgaire bout de scotch sur un bâtiment délabré).

Dans le même genre, on retrouve souvent des gens qui disent qu’on ne change les choses qu’en votant. Je dois avouer que je suis toujours assez surpris par celui-là. Comment le vote a-t-il été obtenu ? Par le vote ? La réponse est évidente, il a fallu se battre, il a fallu faire une (et même plusieurs) révolution(s). Pour rappel, le droit de vote n’est universel que depuis 1944 en France, l’élection présidentielle n’est directe que depuis 1962. Et ces améliorations n’ont pas été “données”, elles servaient aussi à un pouvoir en place d’augmenter sa légitimité à la tête d’un État/gouvernement. De Gaulle n’a pas voulu que son élection soit directe simplement parce qu’il était sympa ou parce qu’il trouvait cela juste. L’intérêt était que, son influence étant à ce moment plutôt basse dans la sphère politique, l’élection directe lui donnerait plus de légitimité pour gouverner. Or, en 1962, de Gaulle était une personnalité plutôt appréciée du public pour beaucoup de raisons. Sa volonté de réunir et de gommer la collaboration et le régime de Vichy, d’installer un mythe résistant, son action pendant la Seconde Guerre Mondiale, etc. avaient pour but de réunir le pays, de réunir les français, d’effacer les dissensions entre elleux. Son élection était donc assez probable (il finit en tête du premier tour avec 44,65% des voix). Une lutte ne se fait jamais gentiment, nulle part, et pour rien. Une lutte est une lutte, et comporte donc sa part de violence. Demander gentiment et espérer un changement, ça n’a aucun sens, demander aux autres de juste demander gentiment, c’est simplement vouloir que rien ne change. Je me permets de partager <a href="https://thenib.imgix.net/usq/7231401b-6a48-4432-b8fb-401ee8a455b2/great-moments-in-peaceful-protest-history-44bdadb44cf-1-aa6afd.jpeg?auto=compress,format"> cette image >/a> de Matt Lubchansky qui résume bien en quoi l’exigence de protestations pacifiques n’est qu’un moyen pour ne rien changer. Alors on peut me sortir les cas typiques, Martin Luther King et Gandhi. Sauf que, la réponse de Martin Luther King était tout de même assez violente, dans le sens où elle empêchait certaines choses de fonctionner correctement. Le cas est le même pour Gandhi. Mais ce n’est pas cela le plus intéressant. Le plus intéressant c’est qu’ils n’étaient pas les seuls à protester, si King était assez suivi, Malcom X, qui lui avait une vision plus radicale du problème, a aussi eu son succès. Pour ce qui est de Gandhi, il était loin de faire l’unanimité en Inde, si ce n’est auprès des Britanniques. Ces mouvements sont donc minoritaires, et souvent réducteurs. Réduire l’indépendance de l’Inde à l’action de Gandhi n’a absolument aucun sens, résumer la lutte pour les droits des Afro-Américains à King, c’est faire l’impasse sur le mouvement Black Panther, par exemple, qui a eu une grande influence dans les populations afro-américaines.

Il y a aussi un autre argument, sur lequel je ne vais pas rester très longtemps. C’est l’argument du “des gens sont morts pour que l’on ait le droit de vote”. Je ne vais pas rester très longtemps là-dessus parce que c’est sans doute le moins intéressant de tous. Des gens sont morts pour le droit de vote. Mettons. Des gens sont morts pour mettre en place des dictatures. Du coup on fait quoi ? On les laisse aussi ? Au-delà de ça, des gens sont morts pour le droit de vote ? Vraiment ? Vous êtes sûr•e•s qu’iels sont pas morts pour avoir plus de droits, plus de libertés et plus de pouvoirs ? L’idée de la Révolution Française était-elle d’avoir le droit de vote ? Bah non. À la base, rien que l’idée de virer le roi ce n’était pas une évidence…

On retrouve ensuite, régulièrement, qu’il n’y a aucun autre système que celui-là. C’est à la fois vrai, et faux. C’est d’abord faux pour des raisons évidentes, mais complètement dérisoires. Des systèmes politiques, il y en a eu plein, de la monarchie, au consulat, en passant par la monarchie absolue de droit divin, mais aussi les empires, les régimes fédéraux, la monarchie constitutionnelle, etc. Ce ne sont donc pas les idées qui manquent, mais voilà, ces systèmes sont souvent assez critiqués, remplacer une démocratie représentative par un de ces systèmes n’aurait donc que peu d’intérêt. C’est donc maintenant vrai : il n’y a quasiment nulle part d’autre système démocratique. On pourrait parler de la Suisse, qui essaie d’être un peu plus directe, en permettant à chacun•e de proposer un texte de loi si tant est qu’iel peut trouver suffisamment de personnes pour le signer. Mais le système reste représentatif et il s’agit là plus d’une béquille que d’une solution. Mais c’est donc, de nouveau, faux. Des alternatives, il en existe des tas, elles ne sont tout simplement pas encore présentes sur de grandes échelles. La démocratie directe (que l’on retrouvait déjà dans la Grèce Antique), la démocratie liquide, sorte de mélange entre démocratie directe et représentative. L’anarchie (à ne pas confondre avec l’anomie qui désigne un régime sans règles où seule la violence physique a autorité) qui désigne un milieu sans autorité unique et coercitive. Dans un tel système il n’y a pas un parti, une personne, un groupe qui peut exercer une autorité sur un autre groupe ou une autre personne de manière systématique et permanente, il ne s’agit donc pas du chaos. On pourrait parler de beaucoup de systèmes qui sont réfléchis en permanence aux quatre coins du monde. Pour ce genre de choses, “l’extrême gauche” regorge d’idées toutes différentes les unes des autres. Critiquer l’absence d’alternative, c’est donc simplement soit dire qu’on ne sait pas qu’elles existent, et dans ce cas il faut se demander pourquoi on ne les connaît pas, soit dire qu’on a peur d’innover, de créer quelque chose de nouveau.

Je pense qu’on a à peu près fait le tour du sujet. Mon but ici n’est pas, en soi, de vous dire de ne pas du tout aller voter. Faites ce que vous voulez et ce que vous trouvez le plus juste. Mais essayez de comprendre pourquoi des personnes ne votent pas. Et surtout, arrêtez d’essayer de culpabiliser les abstentionnistes. Le FN ne monte pas à cause de l’abstention, le FN monte parce que le climat actuel leur est favorable, parce que les politicien•ne•s actuel•le•s reprennent les idées du FN et les banalisent, les normalisent.

Aller plus loin :
<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2014/05/BRACONNIER/50381">Ce que s’abstenir veut dire - Céline Braconnier & Jean-Yves Dormagen </a>

<a href="https://reporterre.net/Non-l-abstention-ne-favorise-pas-le-Front-national">Non, l’abstention ne favorise pas le Front national - Antoine Peillon</a>

<a href="https://www.youtube.com/watch?v=7F84bMZxcUk">Je ne vote pas, pourquoi ? - DanyCaligula</a>

<a href="http://www.arretsurimages.net/emissions/2017-03-10/S-abstenir-Aujourd-hui-on-nous-oblige-a-sauver-la-Republique-id9640">S’abstenir ? “Aujourd’hui on nous oblige à sauver la Republique” - Emission d’Arrêt sur Images</a> (abonné seulement, n’ayant pas d’abonnement moi-même je n’ai pu la regarder)

<a href="https://youtu.be/ZmuC6HSSJ0I?t=1m52s">Sur le vote utile - Buffy Mars</a> (par contre c’est sur une radio, donc la qualité technique est pas au top, et c’est pas hyper focalisé)

Chloé Briand