Dis, c'est quoi le travail ? [EPISODE 5]

LE RYTHME DE TRAVAIL
Par Tanguy Porret.

Si jusque là on pose surtout la question de la durée du travail, on se demande plus rarement quelle est l'intensité du travail durant ces heures.

En effet, on remarque que si dans un premier temps les employés travaillaient plus longtemps, le temps était plus flexible, on l'adaptait en fonction de ses besoins du moment. En le réglementant et en le réduisant, on augmente la cadence du travail. Puisque l'on doit produire autant, mais en moins de temps, il faut de fait travailler plus vite, si l'on embauche pas plus en tout cas. C'est d'ailleurs quelque chose que l'on peut voir dans un des exemples donnés dans la conférence. Des entreprises avaient proposé d'offrir une troisième semaine de congés payés, ce que personne n'avait demandé. La CGT l'a refusé. On pourrait se dire que c'est pour ne rien céder au capitalisme, même si ça implique de refuser des offres. Il s'avère que c'est loin d'être ça. En réalité, cette offre impliquait de revenir sur d'autres choses, la cadence devait augmenter, les pauses étaient supprimées. Bref, on rendait le travail plus dur, au prétexte que l'on offrait quelque chose, qu'on réduisait le temps de travail.

On remarque d'ailleurs que l'augmentation du temps de travail va de pair avec l'augmentation des maladies liées au travail. Ce que l'on appelle aujourd'hui le burn-out est directement causé par les rythmes de travail trop forts. Or c'est une maladie qui touche une part de plus en plus grande de la population. Ainsi la réduction du temps de travail ne cause pas forcément la réduction des souffrances au travail et peut, au contraire, l'augmenter. Il ne faut donc pas seulement poser la question du temps de travail, mais celle du rythme de travail. Réduire le temps de travail sans changer la production attendue n'est pas utile pour lutter contre les souffrances liées au travail, dont le burn-out n'est qu'une des facettes. On le voit notamment dans les hôpitaux à l'heure actuelle (l'actualité est d'ailleurs encore brûlante puisqu'un infirmier s'est suicidé il y a peu à l'hôpital Georges Pompidou). En effet, on a réduit le temps de travail à 35h, sans pour autant embaucher plus. On travaille donc moins longtemps tout en devant faire autant qu'avant. On augmente ainsi le nombre de suicides de personnes travaillant dans les hôpitaux qui ne supportent pas les conditions de travail intenables du secteur.

On remarque aussi que la loi n'impose finalement pas grand-chose sur le temps de travail réel des employé-es. Si pendant les Trentes Glorieuses la limite était à 40h, la réalité était que la moyenne se situait plutôt entre 45 et 47h par semaine. De la même manière, si à l'heure actuelle les 35h sont en vigueur, la moyenne se situe plus à 37h par semaine.
Mais d'autres questions se posent, notamment sur la façon dont le travail est rémunéré et son impact sur le rythme de travail. Ainsi, on se demande s’il faut mieux payer au temps ou à la pièce. En soi, on voit que la différence importe assez peu dans les faits, car l'un implique souvent l'autre. Si vous êtes payés à la pièce, on s'attend à ce que vous fassiez ça dans un certain temps, d'autant qu'il vous faut vivre. Si vous êtes payés à l'heure, on attend un certain rendement, sinon vous êtes inutile.

Toutefois la question est loin d'être inutile, et l'exemple donné pendant la conférence l'illustre assez bien.
Le premier est l'exemple des chapeliers. Dans un premier temps, il faut dire que les chapeaux étaient fabriqués grâce à de la peau de castor. Toutefois, pour des raisons d'économies, il fut décidé de passer à la peau de lapin qui coûtait moins cher. Les chapeliers pouvaient donc faire plus de chapeaux qu'avant avec le même coût. Or, ils étaient payés à la pièce, ce à quoi l'on peut se dire qu'ils seront payés plus. Mais comme on s'attend à ce qu'ils produisent plus, on réduit le salaire à la pièce pour que le final soit sensiblement le même qu'avec la peau de castor. C'est là qu'on voit que même si l'on produit plus, on produit finalement par rapport à un rendement attendu, et que ce n'est pas tant le nombre que le rendement attendu qui compte dans le payement. On budgétise votre salaire sans prendre en compte combien vous produirez, si vous pouvez produire plus, on s'attendra à ce que vous le fassiez, mais on ne vous payera pas plus, le budget étant déjà fixé. De fait, si dans un premier temps il pouvait sembler assez étrange que les chapeliers se plaignent de ce changement de peau, cela semble plus logique quand on connait la logique financière qu'il y a derrière. 

Ainsi, on voit que la différence entre payer à la pièce et payer au temps est assez floue, l'impliquant de toute manière implicitement l'autre. Marx disait lui même que le travail payé à la pièce n'était qu'une extension du travail payé au temps.

La conférence à proprement parlé est maintenant finie, viennent les questions du public. Je ne les traiterai pas toutes, certaines me paraissent plus intéressantes que d'autres, le contenu n'est donc pas exhaustif.

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Chloé Briand