Chronique cinéma : Hayao Miyazaki
Auteur : Jean Fort, coresponsable du club Cinéma
Que vous soyez fan d’animation japonaise ou non, vous avez forcément déjà vu ou entendu parler des œuvres d’Hayao Miyazaki. Véritable dieu vivant au Japon et réalisateur japonais le plus connu en Occident, c’est avec des succès internationaux tels que Le voyage de Chihiro, Le château ambulant, Ponyo sur la falaise ou encore Princesse Mononoké qu’il a rendu sa structure, le studio Ghibli, incontournable dans son milieu. Après son dernier film Le vent se lève (que je recommande fortement à tous les GMA car il raconte la vie de Jiro Horikoshi, l’inventeur du célèbre avion ‘chasseur Zero‘), il annonce vouloir prendre sa retraite. À la surprise générale, le 14 novembre dernier, il révèle travailler sur un long-métrage prévu pour 2020 : Boro, la petite chenille. C’est à croire que même à 76 ans, rien ne peut lui faire lâcher ses crayons ni ses pinceaux.
Après nous avoir fournis les meilleurs films d’animation, inspiré des centaines d’auteurs et ému la terre entière, c’est avec regret que l’on commence à se dire que l’ère Miyazaki touche à sa fin. Tous les regards se tournent vers le Japon pour se demander qui lui succèdera, et certains candidats commencent à sentir monter la pression sur leurs épaules. Avant d’examiner les différents prétendants à sa succession, je vous propose de revenir sur ce qui rend le cinéma de Miyazaki si unique.
---Les Personnages--
Miyazaki nous invite toujours à porter un regard profondément humain sur ses personnages, en écartant la notion de morale manichéenne de ses œuvres. Dans l’ensemble, chacun possède des qualités et des faiblesses qu’il est amené à dépasser au cours de l’histoire. C’est cette présentation ambigüe qui rend les personnages si attachants, et ça se voit particulièrement pour certains comme Hauru (Le château ambulant) ou San (Princesse Mononoké). On se sent d’autant plus proche d’eux qu’ils sont souvent montrés dans leur quotidien, sans artifice. De nombreuses scènes de leur vie quotidienne nous sont présentées, toujours dans le but de créer un lien. Cette idée est très bien incarnée par Kiki (Kiki, la petite sorcière) : une magicienne ne sachant que voler mais qui décide de se servir de son pouvoir pour livrer le courrier.
Les dessins fourmillant de détails sont la marque de fabrique de Miyazaki : pour lui, un bon dessinateur est quelqu’un qui passe du temps à observer ceux qui l’entourent pour réaliser des personnages aussi fidèles à la réalité que possible. Pour animer la robe de Kiki, il passa une journée assis dans le hall d’une gare à regarder les mouvements des robes des passantes. Ajoutez à cela le fait qu’il dessine à la main dans une époque du tout numérique, et le résultat tranche avec une partie des productions modernes où les héros sont souvent des archétypes représentés de façon sur-sexualisée : leurs attributs physiques sont amplifiés à l’extrême.
--Les Femmes--
Il est impossible de ne pas évoquer les personnages féminins de l’œuvre de Miyazaki. Son travail a toujours été en opposition avec le cliché de la princesse et il refuse qu’une femme soit définie par sa relation à un homme, comme il l’affirme : « Beaucoup de mes films ont pour personnages principaux des filles courageuses et auto-suffisantes qui n’hésiteront pas une seconde à se battre de toute leur volonté pour ce en quoi elles croient. Elles auront besoin d’un ami ou d’un allié, mais jamais d’un sauveur. Chaque femme peut autant être un héros qu’un homme. ». Presque toujours, des personnages féminins dirigent les sociétés et les armées qui nous sont montrées, comme Dora (chef des pirates du ciel, Le château dans le ciel), la princesse Kushana (Nausicaä de la vallée du vent) ou dame Eboshi (maîtresse des forges Tatara, Princesse Mononoké). L’absence de patriarcat est donc une constante dans les films de Miyazaki, au profit de sociétés où la femme occupe un rôle central. De nombreuses héroïnes occupent le premier rôle dans ses films, mais plus généralement c’est un duo mixte autour duquel s’articule l’histoire. Un duo qui devient parfois un couple, mais comme il le dit, ce n’est jamais obligatoire : « Je suis devenu sceptique de la règle implicite qui dit que quand un garçon et une fille apparaissent dans une production, une romance doit en découler. Je préfère montrer un genre de relation légèrement différent, où chacun inspire l’autre dans sa vie. ».
--La Nature--
Miyazaki nous a tout au long de ses œuvres montré une nature très ambigüe. Si elle paraît parfois d’un calme bienveillant, elle n’hésite pas à devenir un enfer pour ceux qui cherchent à s’en prendre à elle. C’est dans cet esprit que s’ouvre le film Nausicaä de la vallée du vent : mille ans après un conflit ayant ravagé la planète, la forêt est devenue toxique et menace par son avancée la vie des habitants de la vallée du vent. Dans Princesse Mononoké, c’est la faune qui se soulève quand les hommes cherchent à détruire la forêt pour exploiter le fer. Menés par des divinités telles que Moro la déesse-louve, les bêtes deviennent incontrôlables. Ces deux images s’opposent à la paisible forêt de Mon voisin Totoro ou les plaines fleuries du Château ambulant : des paysages où le style de l’auteur rayonne et qui laissent sans voix. La nature y est montrée comme une perpétuelle source d’émerveillement et un havre de paix loin de la folie des hommes.
--La Guerre--
Que ce soit la recherche d’un pouvoir suprême destructeur dans Le château dans le ciel ou l’éveil d’une arme ayant le pouvoir de détruire le monde dans Nausicaä de la vallée du vent, on sent bien chez Miyazaki les séquelles portées par toute une nation. Né en 1941 à Tokyo, il a quatre ans lorsqu’Hiroshima et Nagasaki sont balayées par la bombe atomique. C’est peut-être de ces images que lui est venue l’envie de nous montrer l’humanité sous un jour assez sombre, en se concentrant sur la soif de pouvoir et de destruction qu’elle porte en elle. Ces traits sont incarnés par le personnage de Muska dans Le château dans le ciel, l’un des seuls personnages qui soit uniquement montré comme un méchant.
Quand Miyazaki évoque la guerre, l’aviation n’est jamais très loin : que ce soit les hydravions de Porco Rosso ou les Zeros dans Le vent se lève, on se retrouve partagés entre la beauté du ciel et l’idée que le combat est tout proche. Pas étonnant que ce sujet le fascine puisque son père, Katsuji Miyazaki, a pendant longtemps dirigé Miyazaki Airplanes, une entreprise qui fabriquait des pièces d’avions au siècle dernier, notamment des gouvernes pour les Zero lors de la seconde guerre mondiale (pour l’anecdote, le studio Ghibli tient son nom d’un avion de reconnaissance italien de la seconde guerre mondiale). Tantôt tremplins vers des rêves d’altitude, tantôt outils de cauchemars pendant les combats, les avions passionnent Miyazaki et traduisent à eux seuls l’ambigüité de son regard sur l’espèce humaine : tant capable de détruire que de créer. En effet, s’il lui arrive de se montrer très pessimiste quand au futur de l’humanité, notamment en imaginant sa destruction suite à une guerre intestine, il existe une chose qui porte tous ses espoirs, et c’est certainement la raison pour laquelle il refuse de prendre sa retraite après tant d’années :
--Les Enfants--
Malgré tout ce que l’on vient d’évoquer, il faut garder à l’esprit que Miyazaki destine ses œuvres à un public jeune. Très souvent, ses héros sont des enfants ou des adolescents (Chihiro, Pazu/Sheeta, Satsuki/Mei, Sôsuke/Ponyo, Kiki), ce sont des personnages caractérisés par leur spontanéité car ils découvrent le monde qui les entourent et par leur naïveté, qu’ils n’ont pas encore perdue.
On dit parfois que les même si les petits ne comprennent pas tous des films qu’on leur montre, ils les intègrent à leur façon et s’en rendront compte en grandissant. Ce n’est pas ce que pense le papa de Totoro, bien au contraire, car d’après lui les enfants sont les seuls à vraiment comprendre son travail. Il en parle en évoquant la réalisation de Princesse Mononoké (1997) : après la guerre en Yougoslavie (1991-1995), il ne se voyait pas revenir à des films joyeux comme Kiki, la petite sorcière, car il a vraiment été déçu de découvrir que l’être humain n’apprend jamais de ses erreurs : « Après avoir terminé, je ne comprenais pas vraiment [le film Princesse Mononoké]. J’ai décidé que les enfants ne devaient surtout pas voir une chose pareille. Plus tard, j’ai réalisé que c’était, au contraire, ce qu’il fallait leur montrer parce que les adultes, eux, ne le comprenaient pas. ». Bon, on ne va pas se mentir, c’est un film assez violent, notamment lors des scènes de mutilation. La guerre, l’avarice et la haine y sont évoqués, tout comme dans Nausicaä de la vallée du vent, c’est pourquoi ces films demandent un peu plus de recul : mais ça ne veut pas dire qu’il faut en écarter les enfants. Tout y est : un univers enchanteur, des personnages profonds et comme final, une morale pleine d’espoir qui prône la protection de la nature et le respect de l’autre.
Écologiste, féministe et humaniste, Hayao Miyazaki a lutté pendant quarante ans pour pouvoir continuer à faire son travail de la meilleure façon qu’il connaisse : la sienne. Dans une industrie et un monde qui prennent des directions qui ne lui plaisent pas, il a toujours fait le choix de se tourner vers l’humain et vers l’espoir. Son travail a donné naissance à un univers qui captive tous les âges, tant par ce qu’il évoque que par sa beauté. S’il part un jour, ce sera en ayant donné au cinéma d’animation japonais ses lettres d’or et en nous laissant à tous de merveilleux souvenirs.
------------------- Les possibles successeurs -----------------------
Makoto Shinkai : Réalisations : 5cm per second, The garden of words, Your name
Préparez vos mouchoirs, car notre premier candidat aime les romances aux rebondissements tragiques. Au travers de personnages bouleversants qu’il place dans des paysages aux cieux fourmillant de détails, il met en scène des romances qui ne laissent jamais indifférent. En 2016, il réalise Your name, un long métrage racontant l’histoire d’un garçon citadin et d’une fille de la campagne qui se réveillent un jour chacun dans le corps de l’autre. Le film fait un carton gigantesque en se plaçant deuxième au box office historique japonais derrière Le voyage de Chihiro. Your name battra pourtant le record de bénéfices de ce dernier en devenant le film d’animation le plus lucratif de tous les temps.
Mamoru Hosoda : Réalisations : Les enfants-loups Ame et Yuki, Summer wars, La traversée du temps, Le Garçon et la Bête
Les thèmes favoris de notre second candidat sont le passage à l’âge adulte et l’apprentissage du rôle de parent. Dans des univers multicolores, il décrit des personnages qui cherchent encore leur place dans le monde et qui finissent par y trouver, au terme d’une épreuve initiatique, une forme de légitimité. Recalé par le studio Ghibli à la sortie de ses études, il conserve la lettre d’encouragement signée par Miyazaki comme un trésor et décide de persévérer. Quelques années plus tard, il est recontacté par le studio pour travailler sur Le château ambulant, mais la collaboration n’aboutit pas. Ayant réalisé le sixième film dérivé de la série One Piece en 2005, il lui faut attendre l’année suivante avec La traversée du temps pour qu’une de ses propres œuvres rencontre le succès.
Hiromasa Yonebayashi : Réalisations : Arrietty, le petit monde des chapardeurs, Souvenirs de Marnie, Mary and the Witch’s Flower (à paraître)
Arrivé en 1996 au studio Ghibli, il grimpe peu à peu les échelons et réalise son premier film quatre ans plus tard : Arrietty, le petit monde des chapardeurs. En 2014 il quitte la structure pour intégrer l’année suivante le tout récent Studio Ponoc. Dirigée par Yoshiaki Nishimura et composée de beaucoup d’anciens animateurs du studio Ghibli, la firme représente un nouvel espoir pour le cinéma d’animation japonais. Le premier film qui en sortira, Mary and the Witch’s Flower, est prévu pour cette année et que ce soit par le design des personnages ou les décors, on retrouve vraiment le style des Ghiblis. Cette œuvre va-t-elle souffrir de la comparaison avec ses prédécesseurs, en particulier Kiki, la petite sorcière où il est également question d’une jeune magicienne ? Le studio Ponoc va-t-il reprendre le flambeau laissé par Ghibli ? Les fans du monde entier ont hâte de trouver des réponses à ces questions.
J’espère que cet article vous a plu ! Si c’est le cas, n’hésitez pas à suivre notre page Facebook, car pour le mois d’Avril, c’est vous qui choisirez quel film de Miyazaki nous allons passer ! On vous proposera aussi de choisir entre les trois auteurs qui viennent d’être présentés pour le deuxième film du mois. Enfin, je tiens à remercier Florence, Manon et Victor pour leur aide précieuse dans la relecture de cet article !
Jean FORT, coresponsable du club cinéma
Victor Lauriau